Page:Mendès - La Légende du Parnasse contemporain, 1884.djvu/73

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J’étais là, sur le dos, dans la nuit, étendu sur une ignoble planche qui n’a pas été balayée depuis cinquante ans, dans un cachot taillé en plein roc, dont les murailles suintent l’humidité. Le plafond était le plancher de la chambre d’un gendarme. On dansait au-dessus de moi. Comme les fers que j’avais aux pieds m’empêchaient de me tourner même légèrement sur le côté, je recevais la poussière et les toiles d’araignée dans les yeux. Des rafales de vent froides et pénétrantes entraient par l’ouverture du guichet. J’étais ainsi depuis une heure, croyant à une mauvaise plaisanterie. Ma pauvre Cosette était grimpée sur le lit de camp et me léchait la figure en gémissant. J’entendais dans une poignée de foin jetée à côté de moi, et qui, d’ailleurs, était dans un état de parfaite pourriture, des bruits secs, crépitants. La phrase sinistre du forçat qui disait à Ranc : « Ça, jeune homme, ça n’est rien ; c’est les puces qui montent, » me revint en mémoire. Les rats et les souris commençaient à prendre ma figure pour le bois de Boulogne, et se promenaient autour de mon nez comme autour du lac.

La sauterie continuait au-dessus de ma tête, grave, cadencée : un rhythme de menuet exécuté par un ménétrier de village ; il me semblait voir les gendarmes se saluer comme les messieurs du boulevard des Belles-Manières à Montargis. Enfin, au bout de deux heures, un filet de lumière glisse dans le cachot, la porte s’ouvre doucement et deux gendarmes paraissent.

— Chut ! dit l’un, un brave homme nommé Muracciole,