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LE ROI VIERGE

tres allumées. Alors ce bâillement, au fond duquel, accroupie, je guettais et attendais, mystérieuse araignée parmi la toile d’or de mes cheveux, fut l’inquiétude de tout un peuple ; on savait que j’étais là, avec le vertige béant de ma volonté qui maîtrise et possède de loin ; on sentait, même en fuyant, l’attirance de l’étroite ouverture où convergeaient de toutes parts les désirs et les épouvantes ; et la ville se fit plus silencieuse, plus morne, comme déserte ; rentrées, enfermements, disparitions ; pareille à tout un bois où les oiseaux se cachent et se taisent parce qu’une gueule de couleuvre baille sous la broussaille.

« Un homme se jeta ! je l’avais déjà saisi. En se retirant, le lendemain, par un chaud midi d’été, il frissonnait, trouvant l’air froid et le soleil glacé. Et la ville m’appartint. Oui, toutes les mouches furent prises dans la toile d’or. Ils m’apportèrent, heureux et ravis, ces hommes, leurs cœurs, leur sang, leur vie, et j’ai ruiné les plus riches pour enrichir les plus pauvres. Conquérante insatiable, je me suis approprié les âmes et les sens d’une multitude ; je la tiens vaincue, et pantelante sous la rage