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LES OISEAUX BLEUS

dans la mer, où elle s’enfonça très vite. Puis il resta pensif, sa hautaine stature, que blanchissaient les étoiles, lentement remuée par le balancement des flots, il ne se sentait point paisible, malgré ce qu’il avait fait. Il se disait qu’un jour ou l’autre, dans un avenir proche ou lointain, on s’aviserait peut-être d’inventer des appareils semblables à celui qu’il avait précipité dans les flots ; il avait, lui, le preux, qui se réjouissait des lances rompues dans la rencontre des palefrois, des entre-choquements lumineux des glaives, des poitrines affrontant les poitrines, des rouges blessures proches des bras qui les firent, il avait la sombre vision d’une guerre étrange, où l’on se hait de loin, où ceux qui frappent ne voient pas ceux qu’ils frappent, où le plus lâche peut tuer le plus brave, où le traître hasard, dans de la fumée et du bruit, dispose seul des destinées. Alors, considérant Durandal, qui étincelait sous les étoiles, Roland pleura, pleura longtemps ; et ses larmes tombaient une à une sur l’acier loyal de l’Épée.