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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/104

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MÉPHISTOPHÉLA

surde, comme inimaginable. Elle n’avait jamais songé, non, jamais, qu’elle serait la femme de quelqu’un, qu’elle dormirait dans le lit d’un homme ! Parmi tant de rêves, celui-là, qui aurait été un cauchemar, ne lui était pas venu ; cela était différent d’elle, étranger à elle. Aussi, aucune hésitation. Elle murmurait : « Emmeline ! un mari ! » Une immense désolation, comme l’air de la nuit solitaire emplit un décombre, pénétrait dans toute elle ; il lui semblait qu’elle n’avait plus de sang, plus de cœur, qu’elle était vide de tout ce qui fait vivre. Elle essaya de raisonner. D’abord, ce n’était pas bien sûr que l’on songeât à faire d’Emmeline une épousée ; Mme Luberti disait souvent des paroles qui n’avaient point le sens qu’on leur pouvait attribuer ; elle était très étourdie, malgré son air grave. Puis, en somme, quoi ? une jeune fille, c’est fait pour devenir une jeune femme. Tous les jours, on se marie. Qu’est-ce qu’il y avait d’extraordinaire en soi et de pénible pour elle dans cet incident, si naturel, le mariage de son amie ? Est-ce que cela les empêcherait d’être de bonnes camarades, que l’une d’elles eût un ménage, des enfants ? Et, certainement, Emmeline serait très jolie en la robe blanche qui traîne, sous les fleurs attachées au long voile…