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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/144

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MÉPHISTOPHÉLA

un tel point ce trouble de ne pas se comprendre, — sauvée de l’inquiétude par l’ignorante candeur de l’instinct ; et elle renonçait vite à s’interroger puisqu’elle n’aurait pas pu se répondre. Mais, à présent qu’elle avait grandi et qu’un horrible instant l’avait faite femme, lui avait révélé le désir mâle, épouvantable, — si différent de celui qu’elle éprouvait, avec des ressemblances pourtant, — à présent qu’elle concevait, d’en avoir subi l’impudeur, la passion qui précipite les bouches sur les bouches, les flancs contre les flancs, elle se demandait, avec orgueil parfois, avec tant de trouble aussi, s’il n’y avait pas en elle adorant le sommeil d’Emmeline, quelque chose de presque pas pareil, d’analogue cependant, à l’ardeur de l’époux qui s’était rué sur elle ; et c’était comme si elle avait entrevu la chimérique possibilité d’être le mari de son amie. Oui, la concupiscence de Jean, par une étrange transposition, et malgré les naturelles décences féminines, éveillait en elle comme une clairvoyance de sa propre convoitise. Puisque l’homme étreint ce qu’il aime, pourquoi n’étreindrait-elle pas ce qu’elle aimait ? Son innocence même, qu’un seul enseignement, en sa rapide rudesse, avait rendue mal savante de la virilité, l’inclinait à des confusions ; et, parce qu’elle