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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/145

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MÉPHISTOPHÉLA

n’avait appris qu’en une effroyable promptitude de viol, l’amour de l’homme, parce qu’elle l’avait appris cependant, elle pouvait s’imaginer qu’un tel amour, attendri, épuré par l’impossibilité même de sa criminelle violence, n’était pas impossible en la femme vers la femme. Mais ces idées passaient vite, s’effaçaient, n’étaient plus. Puisqu’elle avait dix-sept ans, puisqu’aucune lecture malsaine ne lui avait dévoilé sa propre âme infâme peut-être, et qu’un baiser de soldat avait fait de cette enfant non pas une épouse, mais une vierge saignante, puisqu’elle ignorait tout ce qu’elle savait, son esprit ne pouvait s’arrêter à des songes voisins du crime qu’elle n’aurait pas su commettre ; et, toute, elle se laissait aller au chaste délice, si lointain du lit tortionnaire, de contempler, ensommeillée parmi les boucles blondes et sur la blancheur de l’oreiller vierge, Emmeline.

Pourtant, elle s’inquiétait, car, malgré soi, elle regardait avec une précision de plaisir les lèvres si fraîches et la si pâle joue, et un peu du cou frêle de la dormeuse. Elle avait beau chasser les étranges pensées qui, du lit conjugal, l’avaient suivie, dont la pluie nocturne ne l’avait pas délivrée, elle sentait qu’elle aimait tendrement, éperdument, désespérément, son