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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/289

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MÉPHISTOPHÉLA

inconsciemment. Elle acceptait, pour elle-même, les joies réalisées, non pour l’innocente créature ; si elle s’était crue diabolique, elle aurait pu se comparer à un démon qui a pitié d’un ange. Mais d’être chastes, ses souvenirs n’en étaient pas moins cruels ; et, bien des fois, elle rêvait mélancoliquement. Elle était comme un jeune homme, très épris de quelque belle et amoureuse fille, qui pourtant songe avec une amère douceur à une fiancée retournée au pays, qu’il laissa pure et qu’il n’épousera point.

Ces tristesses, Magalo s’en apercevait ; et parce que Sophor lui avait conté toute son histoire, elle savait que son amie pensait à Emmeline, ne s’en pouvait distraire. À cause de cela un grand chagrin. Lorsque, à genoux devant Sophor immobile et les yeux mi-clos vers un rêve, elle lui prenait les mains et voulait, par son bavardage, la faire sourire et ne parvenait même pas à s’en faire entendre, une désolation lui serrait le cœur, elle se retenait à peine de pleurer. Mais presque pas de jalousie, et pas du tout de colère. Elle reconnaissait qu’elle était si peu de chose, comparée à Emmeline qui devait être, comme Sophor, une demoiselle très bien élevée ; elle ne se sentait pas le droit d’en être jalouse, elle, une cocotte, une rien du tout. Il faut se voir comme