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Page:Mendès - Méphistophéla, 1890.djvu/470

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MÉPHISTOPHÉLA

voyait la fuite à travers la pluie obscure, la petite maison de bois au bord de la rivière. Hélas ! qu’elles avaient été heureuses dans l’île. Toutes les voluptés dont elle s’était, depuis, infatuée, comme elle en eût échangé le souvenir contre la fraîcheur d’une seule goutte de l’eau qu’elle laissa choir sur les petits pieds de l’enfant. Ces chers petits pieds blancs et roses, çà et là veinés de bleu ! le glacé de la peau si fine et si lisse luisait sous la transparence glissante. Et elle se rappelait le tenace, l’infini baiser où elles s’étaient l’une l’autre absorbées. Justement parce qu’elle n’avait pas été possédée, Emmeline restait exquisement désirable. La vision, au loin, du corps virginal sur l’étroite couche, — de ce corps devant lequel s’exaspéra l’ignorant désir de Sophor — était comme une lueur de très pure neige et d’aube. Comme le destin l’avait frustrée du seul être qu’elle eût véritablement aimé ! Tant de femmes, toutes les femmes ! hors cette jeune fille. Et voici que, désormais, toute sa vie se tournait vers Emmeline. Elle était comme un voyageur qui voudrait revenir sur ses pas, vers le paysage entrevu au réveil. Si elle n’avait pas perdu Emmeline, quels jours divins elle eût vécus ! au lieu des vaines convoitises vers trop de médiocres créa-