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Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/155

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sai plusieurs rues sans rencontrer un seul bouchon.

Que sont devenus, m’écriai-je, tous ces traiteurs, tous ces aubergistes, tous ces marchands de vin, qui, unis & divisés dans le même emploi, étoient toujours en procès[1] & peuploient jadis cette grande ville ? On en rencontroit deux pour un à chaque carrefour ? — C’étoit encore là un des abus que votre siécle laissoit subsister. On toléroit une falsification mortelle qui tuoit les

  1. Celui qui tourne la broche ne peut mettre la nappe, & celui qui met la nappe ne peut tourner la broche. C’est une chose curieuse à examiner que les statuts des communautés de la bonne ville de Paris. Le parlement siege gravement pendant plusieurs audiences pour fixer invariablement les droits d’un rôtisseur. Il vient de s’élever une cause unique en ce genre : la communauté des libraires de Paris prétend que le génie des Montesquieux, des Corneilles, &c. lui appartient de droit, que tout ce qui émane des cervelles pensantes forme l’on patrimoine, que les connoissances humaines fixées sur le papier sont un effet qu’elle seule peut commercer, & que le créateur du livre n’en pourra retirer d’autre fruit que celui qu’elle voudra bien lui accorder. Ces prétentions singulières ont été publiquement exposées dans un mémoire imprimé. Mr. Linguet, homme de lettres éloquent & plein de génie, a versé le ridicule à pleine mains sur ces risibles marchands ; mais ce ridicule perçant retombe naturellement sur la pauvre législation du commerce en France.