Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/156

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citoyens en santé. Le pauvre, c’est-à-dire, les trois quarts de la ville, qui, ne pouvant faire venir à grands fraix des vins naturels, entraîné par la soif, par le besoin de réparer ses forces abattues, trouvoit après le travail une mort lente dans cette boisson détestable, dont l’usage journalier cachoit la perfidie. Les tempéramens étoient affoiblis, les entrailles désséchées… — Que voulez-vous ? les droits d’entrée étoient devenus si excessifs qu’ils surpassoient de beaucoup le prix de la denrée. On eût dit que le vin étoit défendu par la loi, ou que le sol de la France fût celui de l’Angleterre. Mais peu importoit qu’une ville entiere fût empoisonnée, pourvu que le bail des fermes haussât d’année en année[1]. Il falloit

  1. Un villageois possédoit un âne, lequel portoit deux grands paniers posés en équilibre sur son dos. On remplit les paniers de pommes, & les pommes excédoient la mesure des paniers. Le pauvre animal, quoique lourdement lesté, marchoit d’un pas obéissant & docile. À quelques pas du village le manant vit des pommes mures qui pendoient à des arbres ; tu porteras bien celles-ci, dit-il, puisque tu portes les autres, & il en chargea son âne. L’âne aussi patient que son maître étoit exigeant, redoubloit d’efforts, mais n’en pouvoit plus, la mesure étoit comblée. Le manant rencontra encore une pomme sur son chemin, oh, dit-il, pour une, pour une seule tu