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Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/160

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— Entretenez-moi, je vous prie, de cette matière importante. Il me semble que vous avez adopté la sage méthode d’emmagaziner les bleds ; cela est très bien fait ; on prévient ainsi & d’une manière sûre les calamités publiques. Mon siécle a commis de graves erreurs à ce sujet ; il étoit fort en calcul ; mais il n’y faisoit jamais entrer la somme épouvantable des abus. Des écrivains bien intentionnés supposoient gratuitement l’ordre, parce qu’avec ce ressort tout rouloit le plus facilement du monde. Oh ! comme on se disputoit sur la fameuse loi d’exportation[1] ; & pendant ces belles disputes, comme

  1. Cette fameuse loi, qui devoit être le signes de la félicité publique, a été le signal de la famine : elle s’est assise sur les gerbes des récoltes les plus fortunées ; elle a dévoré le pauvre à la porte des greniers qui crouloient sous l’abondance des grains. Un fléau moral, jusqu’alors inconnu à sa nation, lui a rendu son propre sol étranger, & montré dans le jour le plus horrible la dépravation humaine. L’homme s’est montré le plus cruel ennemi de l’homme. Épouvantable exemple, aussi dangereux que le fléau même. La loi enfin a consacré elle-même l’inhumanité particulière. Je crois beaucoup à la profonde humanité des écrivains qui ont été les fauteurs de cette loi ; elle fera peut être du bien un jour : mais ils doivent éternellement se reprocher d’avoir causé, sans le vouloir, la mort de plusieurs milliers d’hommes & les souffrances de ceux que la mort a épargnées. Ils ont été