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Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/171

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table. S’ils tuoient des lièvres, c’étoit par oisiveté, & non pour les faire manger à ceux qui en avoient été mangés. Ils n’élevèrent jamais leur ame vers quelqu’objet grand & utile. Ils ont dépensé des millions pour des chiens, des valets, des chevaux & des flatteurs : enfin ils ont fait le métier de courtisans ; ils ont abandonné la cause de la patrie.

Chacun levoit les mains au ciel d’étonnement ; on avoit toutes les peines du monde à ajouter foi à mes paroles. L’histoire, me disoit-on, ne nous avoit pas dit tout cela ; au contraire. — Ah ! répondis-je, les historiens ont été plus coupables que les princes.

    que par nécessité, & de tous les emplois c’est assurément le plus triste. Je relis toujours avec un nouveau degré d’attention ce que Montaigne, Rousseau & autres philosophes ont écrit contre la chasse. J’aime ces bons Indiens qui respectent jusqu’au sang des animaux. Le naturel des hommes se peint dans le genre des plaisirs qu’ils choisissent. Et quel plaisir affreux, de faire tomber du haut des airs une perdrix ensanglantée, de massacrer des liévres sous ses pieds, de suivre vingt chiens qui hurlent, de voir déchirer un pauvre animal ! il est foible, il est innocent, il est la timidité même ; libre habitant des forêts, il succombe sous les morsures cruelles de les ennemis ; l’homme survient & lui perce le cœur d’un dard ; le barbare sourit en voyant ses belles côtes rouges de sang, & les larmes inutiles qui ruissellent dans ses yeux. Un tel passe-tems prend sa source dans une ame naturellement dure, & le caractère des chasseurs n’est autre chose qu’une indifférence prête à se changer en cruauté.