Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/213

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œuvres du bon abbé de St Pierre, dont la plume étoit foible, mais dont le cœur étoit sublime. Sept siécles ont donné à ses grandes & belles idées la maturité convenable. C’étoient ceux qui le railloient d’être visionnaire, qui embrassoient de pures chimères. Ses rêves sont devenus des réalités.

Parmi les poëtes François, je revis Corneille, Racine, Molière ; mais on avoit brûlé leurs commentaires[1]. Je fis au bibliothécaire la question que l’on fera encore probablement pendant sept cents années : auquel donneriez-vous la préférence des trois ? — Nous n’entendons plus guères Molière, me répondit-il ; les mœurs qu’il a peintes ont passé. Nous pensons qu’il a plus frappé le ridicule que le vice, & vous aviez plus de vices que de ridicules[2]. Pour les deux

  1. Ils sont l’ouvrage ou de l’envie ou de l’ignorance. Ces commentateurs me font pitié avec leur zèle pour les loix de la grammaire. Le plus cruel destin qui attend l’homme de génie de son vivant ou après sa mort, est d’être jugé par le pédantisme : il ne fait rien voir, rien sentir. Ces malheureux critiques, qui marchent de mots en mots, ressemblent à ces vues myopes qui, au lieu d’embrasser un tableau de le Sueur ou du Poussin, visitent stupidement chaque trait, & n’apperçoivent jamais l’ensemble.
  2. Il est faux, comme on l’a avancé dans un éloge de Molière, que la guérison du ridicule soit plus aisée que celle du vice ; mais quand cela seroit, à quelle maladie du cœur humain doit-on apporter les