Aller au contenu

Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux lettres que les beaux esprits, les oisifs, les jolies femmes, les hommes de cour, les fats & les sots mêmes lui écrivoient par la poste ; ils avoient la vanité de la lire dans des cercles & pensoient obtenir par-là le brevet de bel esprit. Quelques petits auteurs prenoient à la lettre les louanges d’usage ; car on étoit fort poli dans mon siécle : notre Virgile en avoit nommé trois ou quatre pour lui succéder, il s’amusoit à tracer ces espèces de codiciles, à peu près comme un millionaire s’amuse des espérances inquiétes de ses neveux qui ne doivent pas toucher un sol à sa mort. J’ai lu des milliers de ces lettres, toutes agréables, légères, & qui ont quelquefois le bon sens de ne rien signifier du tout ; ce qui n’étoit pas un petit mérite quand il falloit écrire à certains personnages de la bonne ville de Paris — en vérité l’antiquité n’a rien produit de tel, la varieté prodigieuse de ses talens en fait surement un homme à part ; ce n’est donc pas sans raison que nous avons oublié les noms de trente souverains aujourd’hui cachés dans la poussière, pour nous souvenir de ce nom qui jouit encore du même éclat. —

Je reconnois la justice des siécles[1] ; oui,

  1. Pourquoi la mémoire des poëtes & des grands écrivains est-elle plus célèbre que celle des guerriers, des ministres, des rois ; c’est que ceux-ci tombent avec leurs exploits dans la nuit de l’oubli, parce que tous ces grands intérêts changent, disparoissent & bientôt s’anéantissent ; mais le grand écrivain est l’homme de tous les tems, de tous tous les lieux. Homere a charmé Alexandre, qui mettoit