Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/225

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la trompe de l’éléphant n’est pas plus flexible que l’étoit son génie ; outre la gloire littéraire, l’humanité lui doit une couronne : il a remporté des victoires éclatantes sur les ravages de ces préjugés cruels qui anéantissoient les vraies maximes faites pour l’homme ; il a inspiré à tous les gouvernemens un esprit de tolérance, & du moins un des fléaux qui écrasoient la nature humaine a été brisé par lui ; on sentoit même de son tems le bien qu’il avoit commencé d’opérer. C’est lui qui le premier a mis en branle le tocsin de la philosophie ; avant lui on ne sonnoit que de petits coups foibles & presque inutiles : il lui a donné une

    l’Iliade sous son chevet avec son épée : il enchante encore aujourd’hui l’homme de lettres pauvre qui le lit dans son grenier à la lueur pâle d’une lampe, il est heureux en le lisant ; Ovide, Anacreon, Horace, versent le plaisir dans tous les cœurs sensibles. Le canon d’un conquérant n’est pas aussi harmonieux que les vers de Virgile. Voltaire a donné plus agréments variés aux esprits délicats que toute le magnificence des rois n’en peut procurer. Un édit donne-t-il des sensations aussi vives, inspire-t-il autant de sérénité, de joie, d’amusement ! on parle trop des gens de lettres, dira-t-on ; mais peut-on n’en pas parler ? Tant que les plaisirs de l’esprit seront des voluptés pour les uns, des consolations pour les autres, ne soyez pas étonné si le grand poëte l’emporte en renommée sur toute autre espèce d’homme, & quand je suis retiré chez moi, qui peut me donner des jouissances plus fines, plus multipliées, plus agréables qu’un Virgile, un Voltaire, un Richardson ? Je serois bien ingrat de ne pas porter mon tribut d’admiration à l’homme qui me fait verser de douces & précieuses larmes, tandis que les autres m’indignent & m’offensent. Et que me fait à moi la puissance des rois ? Que m’importe l’éclat de leur trône ? Celui où s’assied l’empereur du Mogol est tout d’or, dit-on ; un