Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/229

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dans une carrière où l’orgueil des hommes leur offroit mille dégoûts ; mais ils ont bravé & l’insolent mépris des grands, & les propos imbécilles du vulgaire : la renommée juste, en flétrissant leurs adversaires, a couronné leurs nobles efforts.

Je les reconnois à ce portrait, me dit poliment mon interlocuteur. Les gens de lettres sont devenus les citoyens les plus respectables. Tous les hommes éprouvent le besoin d’être émus, attendris ; c’est le plaisir le plus vif que l’ame puisse goûter. C’est à eux que l’État a confié le soin de développer ce principe des vertus. En peignant des tableaux majestueux, attendrissans, terribles, ils rendent les hommes plus susceptibles de tendresse, & les disposent en perfectionnant leur sensibilité à toutes les grandes qualités dont elle est l’origine. Nous trouvons, poursuivit-il, que les écrivains de votre siécle, du côté de la morale & des vues profondes & utiles, ont surpassé de beaucoup les écrivains du siécle de Louis XIV. Ils ont peint les fautes des rois, les malheurs des peuples, les ravages des passions, les efforts de la vertu, les succès mêmes du crime. Fidèles à leur vocation[1], ils ont eu le courage d’insul-

  1. Néron logeoit dans son palais la fameuse Locusta, savante dans l’art d’apprêter des poisons subtils. Il étoit si jaloux de conserver une femme