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QUATRE CENT QUARANTE.

sort des tristes habitans de ces fastueuses prisons que l’on nomme villes[1].

J’eus beau lui répéter le proverbe vulgaire, que Paris n’avoit pu se faire en un jour, que tout étoit déja perfectionné en comparaison des siécles précédens. Encore quelques années, lui disois-je, & peut-être n’aurez-vous plus rien à désirer ; s’il est possible toutefois de remplir dans toute leur étendue les diférens projets qui ont été conçus… Ah ! me repliqua-t-il, voila bien le tic de votre nation. Toujours dès projets ! & vous y croyez ! Vous êtes François, mon ami ; avec tout votre bon sens le goût du terroir vous a gagné. Mais, soit : je reviendrai vous voir quand tous ces projets auront été mis à exécution. D’ici là j’irai vivre ailleurs. Je n’aime point habiter parmi tant de mécontens, tant de malheureux, dont le regard soufrant déchire mon cœur[2].

Je vois qu’il seroit aisé de remédier aux maux les plus pressans ; mais croyez-moi, l’on n’y remédiera pas : les moyens sont trop simples pour que l’on y ait recours ; on s’en

  1. Dans ce torrent de modes, de fantaisies, d’amusemens, dont aucun ne dure, & dont l’un détruit l’autre, l’ame des grands perd jusqu’à la force de jouir, & devient aussi incapable de sentir le grand & le beau que de le produire.
  2. Il n’est aucun établissement en France qui ne tende au détriment de la nation.