Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/317

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non parce qu’ils avoient un mauvais cœur, mais parce que l’état des pauvres de leur pays n’avoit jamais pu parvenir jusqu’à eux[1]. Si l’on abandonnoit ce jeune prince aux idées flatteuses d’un pouvoir assuré, peut-être même avec une ame droite, vu la pente infortunée du cœur humain, chercheroit-il dans la suite à étendre les limites de son autorité[2]. C’est en cela que plusieurs souverains faisoient malheureusement consister la grandeur royale, & par conséquent leur intérêt étoit toujours opposé à celui de la nation.

Dès que le jeune prince a atteint l’âge de vingt-ans, plutôt même, si son ame est formée de meilleure heure, on le conduit dans

  1. Le préjugé est toujours à la droite du trône, prêt à couler ses erreurs dans l’oreille des rois. La vérité timide doute de la victoire qu’elle peut remporter sur eux, & attend qu’on lui fasse signe pour approcher ; mais sa bouche parle un langage si étrange, qu’on revient au fantôme trompeur qui possède à fond la langue du pays. Rois ! apprenez l’idiome sévère & philosophique de la vérité ! c’est en vain que vous la chérirez, si vous ne savez pas l’entendre.
  2. Les hommes ont une disposition naturelle au despotisme, parce que rien n’est plus commode que de remuer le bout de la langue pour être obéi. On connoît ce sultan qui vouloit qu’on lui récitât des histoires amusantes, sous peine d’être étranglé. D’autres tiennent à peu près le même langage, & disent à leurs peuples : divertissez-moi, & mourez de faim.