Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le Roi : on alloit sur les routes au devant de chaque tribut. Elles étoient couvertes de tables champêtres. Les députés des diverses provinces se saluoient & se faisoient des présens. On buvoit à la santé du monarque, au bruit du canon ; & celui de la capitale répondoit comme interprête des remercimens du souverain. C’est alors que le peuple ne paroissoit qu’une seule & même famille. Le roi s’avançoit au milieu de ce peuple joyeux : il répondoit aux acclamations de ses sujets par ce regard tendre & affable qui inspire la confiance & rend amour pour amour ; il ignoroit cet art de traiter politiquement avec un peuple dont il se regardoit comme le père.

Ses visites ne ruinoient point le corps de ville, d’autant plus qu’il n’en coûtoit au peuple que des cris de joie[1] ; réception plus

  1. Je vis un jour un prince faire son entrée dans une ville étrangère. Les canons commencèrent à tonner. Le prince étoit habillé magnifiquement & traîné dans un char doré, surchargé de pages & de laquais. Les chevaux sautoient en hennissant, comme s’ils conduisoient le bonheur. Les toits étoient couverts de monde, toutes les fenêtres étoient levées, chaque pavé portoit son homme ; les cavaliers faisoient briller leurs sabres, les soldats agitoient leurs fusils. L’air frémissoit de l’écho des trompettes. Le poëte accordoit sa lyre, & l’orateur attendoit qu’il mît pied à terre. Le prince arrive, il est conduit au palais, & son as-