Page:Mercier - L’An deux mille quatre cent quarante.djvu/372

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bonne heure ; & de plus, nous aimons les songes légers & gracieux[1] ».

Il se fit un moment de silence. Le père de famille bénit les mets qui couvroient la table. Cette coutume auguste & sainte s’étoit renouvellée, & je la crois importante, parce qu’elle rappelle sans cesse la reconnoissance que nous devons au Dieu qui fait croître les légumes. Je songeois plus à examiner la table qu’à manger. Je ne parlerai point de l’éclat & de la propreté. Les domestiques étoient au bout de la table & mangeoient avec leurs maîtres : ils les en aimoient davantage ; ils recevoient en leur société des leçons d’honnêteté qui fructifioient dans leur cœur ; ils s’instruisoient des bonnes choses qu’on y disoit : aussi n’étoient-ils pas insolens & gros-

  1. Heureux celui qui sait goûter le sentiment de la santé, cette paisible assiette du corps, cet équilibre, ce mélange parfait des humeurs, cette heureuse disposition des organes qui entretient leur force & leur souplesse. Cette santé entière, complette, est une grande volupté. Elle n’est pas sensuelle, d’accord : mais comme elle surpasse seule toutes les autres voluptés ! Elle donne à l’ame ce contentement, ce calme intime & délectable qui fait chérir l’existence, admirer le spectacle de la nature, & rendre graces à l’auteur de la vie ! N’être point malade, cela seul est un doux plaisir ! J’appellerois volontiers philosophe, celui qui connoissant les dangers des excès & les avantages de la modération, saurait réfréner ses appétits & jouir sans douleur : ô quel secret !