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QUATRE CENT QUARANTE.

voit passer du même œil que le citoyen obscur qui se mêle & se perd dans la foule.

La politique et la raison autorisent à la fois cette distinction : elle n’est injurieuse que pour ceux qui se sentent incapables de jamais s’élever. L’homme n’est pas assez parfait pour faire le bien, pour le seul honneur d’avoir bien fait. Mais cette noblesse, comme vous le pensez bien, est personnelle, et non héréditaire ou vénale. À vingt-un ans le fils d’un homme illustre se présente, & un tribunal décide s’il jouira des prérogatives de son père. Sur sa conduite passée, & quelquefois sur les espérances qu’il donne, on lui confirme l’honneur d’appartenir à un citoyen cher à sa patrie. Mais si le fils d’un Achille est un lâche Thersite, nous détournons les yeux, nous lui épargnons la honte de rougir à notre vue : il descend dans l’oubli à mesure que le nom de son père devient plus glorieux.

De votre tems on savoit punir le crime, & l’on n’accordoit aucune récompense à la vertu ; c’étoit une législation bien imparfaite. Parmi nous, l’homme courageux qui a sauvé la vie à un citoyen dans quelque danger[1], qui a prévenu quelque malheur

  1. Il est étonnant que l’on n’accorde aucune récompense à l’homme qui sauve la vie à un citoyen. Une ordonnance de police donne dix écus au bâtelier qui retire un noyé de la rivière, mais le bâtelier qui sauve la vie à un homme en danger n’a rien.