Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/12

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mo di vou cé la vérité. Vou mennin moin dan ain la forge ; va oua si mo pa fé ça mo di.

« C’est précisément ce que je vais faire, dit Saint-Ybars ; je vais te mettre à l’épreuve. »

Et se tournant vers Stoval :

« Le prix, s’il vous plaît ? demanda-t-il.

« Dix-huit cents piastres, Monsieur, répondit Stoval. C’est bon marché ; car, je vous ferai observer…

« C’est bien, c’est bien, interrompit Saint-Ybars ; je vais le mettre à l’essai, et le faire visiter par un médecin. S’il est bon forgeron, comme il s’en vante, et s’il est dans des conditions physiques irréprochables, je le prends. »

Le jeune français, dominé par une curiosité facile à comprendre chez un étranger, observait avidement mais discrètement ce qui se passait.

Comme Saint-Ybars allait sortir, deux hommes qui évidemment n’appartenaient pas aux rangs élevés de la société louisianaise, entrèrent dans le compartiment des femmes. Il y avait une esclave qui tranchait sur la masse par son teint et son attitude. Le jeune étranger, la croyant de race blanche, parut fort étonné de la voir dans un groupe de négresses à vendre. Belle et admirablement faite, elle avait trop d’esprit pour ignorer l’influence que ces avantages naturels pouvaient exercer sur son avenir ; aussi, avait-elle confiance, se disant que le nouveau maître qui devait l’acheter, quel qu’il fût, ne la traiterait pas comme la première venue. Le fond de sa pensée se manifestait dans la manière gracieusement impertinente dont elle tenait sa tête. Cependant, quand elle s’aperçut que les deux inconnus qui venaient d’entrer, la regardaient avec des yeux ardents, et qu’en même temps ils chuchotaient en échangeant des signes affirmatifs, elle se déconcerta : elle pressentit que l’un ou l’autre allait la marchander, et l’idée d’appartenir à un homme du commun lui inspira une horreur inexprimable. Dans son angoisse, une chance de salut se présenta à sa pensée ; elle la saisit avidement. Elle fit, coup sur coup, des signes à la fillette que Saint-Ybars tenait par la main, pour l’attirer à elle.