bout. Elle soupçonnait la cause du départ de Nogolka ; peut-être même en était-elle sûre ; mais la pudeur et le respect filial commandaient la plus grande réserve.
Vieumaite et Chant-d’Oisel conduisirent Nogolka au bateau qui devait la transporter à Cincinnati. À la manière dont Chant-d’Oisel embrassa l’institutrice, au moment des adieux, et à quelques mots échappés de ses lèvres, il eût été évident même pour une personne moins clairvoyante que Nogolka, que la maîtresse laissait à son élève un souvenir pur de tout reproche. Elles échangèrent un dernier regard, un dernier serrement de mains dans lequel il y avait manifestement une protestation contre la nécessité qui les séparait.
Une chose fit plus de peine à Nogolka que tout le reste ; ce fut, en partant, de ne pas voir Pélasge. N’être pas aimée de lui était sans doute un grand malheur ; mais on n’est pas maître de son cœur, elle ne pouvait pas lui faire un crime d’aimer Chant-d’Oisel. Mais qu’il poussât l’indifférence jusqu’à n’être pas là pour recevoir ses adieux, c’était ce qu’elle ne pouvait comprendre. Elle aimait mieux croire qu’il en était empêché par quelque cause sérieuse. Mais que pouvait être cette cause ? elle ne la trouvait pas.
Pélasge se savait-il aimé de Nogolka ? il est possible qu’il l’ignorât encore, comme tout le monde sur l’habitation. Nogolka était naturellement réservée ; en outre, elle avait toujours eu un puissant motif pour cacher son secret, la crainte d’éveiller la jalousie de Saint-Ybars. N’importe ; il est difficile de croire qu’un homme observateur et pénétrant comme Pélasge, ne se doutât de rien.
Le bateau parti, Nogolka se retira dans sa cabine, où, pour combattre sa tristesse, elle se mit à défaire et à refaire sa malle. Il y avait peu de voyageurs ; ils étaient tous sur les galeries. Le salon était désert. Nogolka pensa qu’elle pouvait, sans inconvénient laisser sa porte ouverte. L’ombre d’une personne s’étant portée sur le linge qu’elle rangeait, elle releva la tête ; Pélasge était debout sur le seuil. Ce qui se passa en elle, quels mots pourraient jamais le dire ? Sa joie fut immense ; ses yeux devinrent humides