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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/150

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« Démon, croyez-moi, ne revenez pas. Pénétrez-vous bien d’une vérité, c’est que les esprits généreux qui combattent pour le principe de la souveraineté des États, sont en très petit nombre. On fait la guerre pour garder ses esclaves ; cela est si vrai qu’on les refuse aux généraux, qui les demandent pour les faire travailler aux tranchées. »

Le blocus fit mieux encore que les conseils de Pélasge ; il opposa un obstacle insurmontable aux désirs de Démon. La correspondance entre le professeur et son ancien élève devint difficile ; ils ne pouvaient s’écrire que par l’intermédiaire des officiers de la marine française en station à la Nouvelle-Orléans.

Mme Saint-Ybars et Chant-d’Oisel étaient très tourmentées, en pensant que Démon manquait d’argent. Depuis deux ans il avait pris son particulier ; il occupait un petit appartement dans le quartier latin, et suivait les cours du Collège de France, de l’Observatoire et du Jardin des Plantes. Comment faire pour lui envoyer de l’argent ? on n’en avait pas assez pour soi-même ; on vivait des produits de la petite ferme ; à peine avait-on de quoi acheter de la farine pour faire du pain. Mamrie eut une idée : il fallait cinquante piastres par mois à Démon, pour vivre à Paris ; elle promit de les avoir, pourvu que ces dames pussent se passer d’elle. Alors elle expliqua son plan ; il fut approuvé. Chant-d’Oisel entreprit bravement de faire la cuisine, Mme Saint-Ybars de laver, Lagniape de repasser, Blanchette de faire le ménage. Le soir on cousait.

Pélasge travaillait au jardin, coupait du bois, allumait le feu.

Chacun fouilla dans ses poches ; on réunit quelques piastres, et Mamrie partit pour la Nouvelle-Orléans. Dès le surlendemain de son arrivée, elle était installée rue du Canal, vendant des gâteaux et du candi faits par elle. Son air bon et souriant, sa manière gracieuse de servir, non moins que l’excellence de sa marchandise, lui attirèrent des pratiques, surtout parmi les officiers de l’armée fédérale, grands amateurs, on s’en souvient, de pâtisseries et de sucreries. L’un dans l’autre elle gagnait deux piastres