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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/161

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desséchées, et que la barbe espagnole l’envahissait de toutes parts.

« Et toi aussi, vieux colosse, tu t’en vas, dit-il ; la mort te tient dans ses griffes. Elle a déjà fait de grands trous dans ta ramée ; elle ne te lâchera plus ; elle te dévorera branche par branche ; elle pénétrera dans ta tige énorme, et descendra jusque dans tes racines ; un suaire de mousse couvrira ton cadavre. Hélas ! que veux-tu, tout n’a qu’un temps ; tout meurt, tout disparaît, c’est la loi. La terre elle-même, berceau et tombeau de tant d’êtres, aura sa fin. Une nuit viendra, nuit lugubre et glacée, où l’humanité, réduite à un petit nombre de familles, attendra vainement le retour du soleil, et sera ensevelie sous une pluie de neige. Mais qu’importe ? tu mourras content, toi ; tu auras vécu aussi longtemps que ton espèce peut vivre. Mais qui me dira, à moi, pourquoi cette charmante enfant que je viens de mettre là, est morte à la fleur de l’âge, au seuil même du bonheur ? qui me prouvera que cela est juste, que cela est bon ? Je suis bien obligé de reconnaître que la force des choses qui m’accable, est plus puissante que moi, et qu’en définitive il faut que je me résigne à ses coups inexplicables. Mais de ce que je ne comprends pas que le fait qui me plonge dans le désespoir puisse être juste, dois-je conclure qu’il est nécessairement juste ? non ; je ne connais qu’une justice : s’il y en a deux, où est l’autre ? qui l’a vue ? qui la connaît ? Cette autre justice, arbitrairement appelée divine, l’homme l’a rêvée pour expliquer sa misérable destinée, et son triste rêve n’explique rien. »

Il regarda le tombeau encore une fois, soupira et sortit en marchant lentement.