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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/164

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CHAPITRE XXXV

Effets du malheur



Pendant six mois, la maison où Chant-d’Oisel était morte, parut inhabitée, tant elle était silencieuse. Mme Saint-Ybars ne parlait presque plus ; elle avait entièrement perdu la faculté d’avoir de nouvelles idées ; elle tournait sans fin dans le cercle noir de ses souvenirs ; étrangère au monde des vivants, elle vivait avec des morts, elle ne voyait qu’eux, elle n’entendait que leurs voix. Pour elle ils étaient la réalité ; Pélasge, Mamrie, Blanchette et Lagniape étaient des ombres qui passaient et repassaient devant elle, dans un brouillard. On ne pouvait attirer son attention qu’en la secouant par le bras, et en parlant très fort. Elle faisait peur à Blanchette, surtout quand elle fixait sur elle son regard qui ressemblait à celui d’une personne dormant les yeux ouverts.

Blanchette avait seize ans. Naturellement enjouée, elle aurait rayonné comme une belle matinée de printemps, sans la présence de cette malheureuse vieille femme, qui tantôt excitait sa compassion, et tantôt la faisait trembler de tous ses membres.

Quand on adressait des questions à Mme Saint-Ybars, elle ne répondait que par monosyllabes. Mais il y avait deux mots qu’elle répétait spontanément, d’une voix dolente, la nuit comme le jour, avec la régularité d’une horloge. Qu’elle fût éveillée ou endormie, on était sûr, toute les heures, d’entendre ces deux mots sortir de sa bouche : «