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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/183

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Ils sortaient, marchant au hasard, absorbés dans l’échange de pensées intimes qui les rendaient de plus en plus chers l’un à l’autre. Pour Blanchette, voir Démon et l’aimer ç’avait été une seule et même chose. Elle l’aimait même avant son arrivée ; on avait si souvent parlé devant elle de son excellent cœur, et elle avait eu tant de fois l’occasion d’apprendre à le connaître, en écoutant lire les lettres qu’il écrivait. Il était bien tel qu’elle l’avait vu en esprit ; c’était bien le même regard vif et doux, la même voix, le même sourire, le même air distingué, la même manière de marcher. Aimer Démon en sa présence comme elle l’avait aimé de loin, était une chose toute simple, qui allait de soi, si naturelle enfin qu’elle lui disait sans cesse qu’elle l’aimait bien, qu’elle donnerait sa vie pour qu’il fût heureux.

Démon était comme quelqu’un qui s’est entièrement retiré du monde ; seul avec Blanchette, il était suspendu dans une sorte de somnambulisme, où il se sentait vivre d’une vie délicieuse. C’était pour lui la vraie vie, la vie du cœur et de la pensée. Le passé, avec ses souffrances et ses tristesses, lui paraissait comme une nuit lointaine, nuit traversée de spectres sinistres, reculant et s’effaçant devant une lumière qui s’étendait autour de lui et de Blanchette. Il avait oublié la douleur ; il ne s’en souvenait que lorsque Blanchette n’était pas près de lui. Il éprouvait alors un malaise que l’on pourrait comparer à celui d’une personne cherchant, dans un songe, sa vie qui s’est séparée de son corps.

Démon s’était repris d’attachement pour sa terre natale ; la maison de son grand-père lui paraissait le meilleur endroit du monde pour vivre heureux avec Blanchette. Elle serait sa femme dès que la fin de son deuil aurait dissipé la dernière ombre placée entre eux et le bonheur. En attendant, ils travaillaient ensemble à l’embellissement de la maison et du jardin, ils faisaient ensemble de beaux projets. Au milieu du jour, quand l’ardeur du soleil les empêchait de sortir, ils s’asseyaient sur la galerie, à l’ombre des grands rideaux, et lisaient à haute voix, chacun