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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/184

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à son tour. Ensuite, ils descendaient au salon ; là ils se berçaient de musique, là ils se disaient, dans le divin langage des sons, ces choses profondes et mystérieuses que la mélodie et l’harmonie peuvent seules exprimer. Le soir, ils contemplaient ensemble l’immensité semée d’étoiles, les masses sombres de l’horizon, et ce grand fleuve serpentant majestueusement dans le silence, reflétant la lumière opaline du ciel, répandant une fraîcheur salutaire sur les campagnes endormies ; ils s’envolaient ensemble dans l’espace sans bornes, sur les ailes de la rêverie et de l’espérance, ils se perdaient ensemble dans l’infini de l’amour. Ils oubliaient qu’il y a une chaîne qui nous tient tous attachés à la terre, à quelque hauteur que l’on s’élève par l’esprit et le cœur, et que le malheur est le roc inébranlable auquel cette chaîne est rivée.

Cette vie d’enchantement durait depuis six mois : rien n’en troublait le cours, sauf les visites que Démon et Blanchette recevaient de loin en loin, et qu’ils étaient obligés de rendre. Ces visites à recevoir et à rendre, étaient un supplice pour Démon ; mais à peine avait-il repris sa liberté, qu’il oubliait les personnes qu’il avait vues ; tant il s’empressait de se replonger dans le monde d’extase où Blanchette était tout pour lui, et lui tout pour elle !

Pélasge, Mamrie et Lagniape étaient heureux du bonheur de Démon et de Blanchette ; ils le protégeaient autant qu’ils pouvaient contre les importunités des oisifs et des indiscrets.

Démon se souvenait, malgré lui, que deux ou trois fois M. Héhé et M. le duc de Lauzun étaient venus le voir ; le premier lui avait paru passablement goguenard, le second dissimulé et envieux. Un troisième personnage lui avait aussi laissé une impression désagréable. C’était un gentilhomme campagnard fort prétentieux, nommé des Assins. Ce bel esprit avait une opinion prodigieuse de sa valeur personnelle ; il se donnait tant d’importance qu’il n’en laissait aucune aux autres. Il ne parlait jamais que de lui-même, comme si le monde entier eût été créé pour s’occuper exclusivement de M. des Assins. Après une