de lui. Blanchette eût frémi, eût pâli de terreur, si elle avait pu entendre ses monologues intérieurs. Le mépris de la vie avait pris chez lui les proportions d’une passion farouche. « Comment, se disait-il avec une ironie amère, comment les hommes peuvent-ils s’entêter à aimer cette existence à la fois absurde et douloureuse ? Pour lui trouver une raison d’être, pour justifier ses contradictions, pour excuser les maux dont elle foisonne, que n’ont-ils pas inventé ! que de mauvaises et sottes explications n’ont-ils pas extraites de leurs rêves philosophiques et religieux ! Et toute cette peine, toute cette bonne volonté à se tromper, à quoi aboutit-elle ? à arranger une manière de vivre qui vous fasse oublier que vous vivez. S’étourdir dans le plaisir, s’exténuer de travail, s’enivrer des fureurs de la guerre, perdre haleine à courir après la fortune, s’ensevelir dans la dévotion, s’évanouir dans les extases anticipées d’une vie future et éternellement heureuse, telles sont les ressources ingénieuses auxquelles l’homme a recours pour échapper au sentiment de sa misérable destinée. Le meilleur de son temps est quand il dort, c’est-à-dire quand il est submergé dans cette manière d’être qui ressemble tant à la mort. La mort ! qu’est-elle ? sans doute un sommeil ; mieux que cela, un néant. Pourquoi pas ? pourquoi ne serait-ce pas après ma mort, comme c’était avant ma naissance ? Où étions-nous, il y a cent ans, nous tous qui en ce moment passons comme des ombres sur la terre, pour faire place bientôt à d’autres ombres ? Nous étions sans doute où nous serons au sortir de la vie. Puisqu’il fut un temps où nous n’étions pas, pourquoi n’y aurait-il pas un temps où nous ne serons plus ? Mais, nous dit-on, l’espoir d’une autre vie est une consolation. Je réponds : Espérer, c’est rêver une chose désirée et possible mais non certaine. Si un rêve suffit pour vous consoler, gardez-le pour vous ; je ne veux pas vous en priver. »
Démon s’enfonça de plus en plus dans ces noires pensées. Pélasge ne s’aperçut pas, malgré sa perspicacité habituelle, que son jeune ami s’acheminait rapidement vers le suicide. Il y avait chez Pélasge un calme héroïque,