installèrent des tables de jeu. Saint-Ybars s’assit à l’une d’elles exclusivement occupée par des planteurs de sa connaissance. Les parties se succédèrent ; l’argent, l’or, les billets de banque formaient des tas qui grossissaient sans cesse. Pélasge qui n’avait jamais touché une carte, et que les discussions des joueurs n’intéressaient nullement, sortit du salon. Il rencontra la fille de Saint-Ybars qui se promenait, accompagnée de Titia. Il engagea un entretien avec elle ; Titia en profita, pour aller dire quelques mots à Lagniape, qui était avec Fergus à l’avant du pont.
« Ainsi, continua Pélasge, mon futur élève, Mademoiselle, est votre jumeau : comment se nomme-t-il ?
« Il a deux noms, Monsieur, répondit la fillette, un vrai et un autre que mon grand-père lui a donné en jouant ; c’est ce dernier qui lui est resté. Il se nomme Edmond ; mais vous ne l’entendrez jamais appeler que Démon.
« Et vous, Mademoiselle, permettez-moi de vous demander votre nom.
« Vous allez rire, Monsieur ; moi aussi, j’ai deux noms. Comme ma marraine, je m’appelle Amélie ; mais il parait que quand j’étais petite, mon bonheur était d’écouter le chant des oiseaux, et, quand j’étais seule, je chantais pendant des heures entières en regardant la campagne et le ciel. À cause de cela, mon grand-père qui a l’habitude de donner des sobriquets, dit un jour : ― Eh bien ! puisqu’elle chante toujours comme ses amis les oiseaux, je la nomme Chant-d’Oisel ; c’est le nom du village d’où nos aïeux sont partis pour passer en Amérique. Depuis ce temps-là, mon nom d’Amélie a disparu ; on ne le prononce que dans les grandes occasions. Mais vous pouvez, Monsieur, si vous voulez, m’appeler Amélie.
« Non, Mademoiselle, je ferai comme tout le monde : le surnom que vous a donné votre grand-père, est charmant ; je ne vous appellerai pas autrement que Chant-d’Oisel. Je ferai de même à l’égard de votre frère ; son nom pour moi, comme pour les autres, sera Démon… Il paraît qu’il a de la peine à apprendre.
« Oui, Monsieur ; c’est parce qu’il aime trop à jouer.