Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/33

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éplucheur. Mme Saint-Ybars lui plut ; elle avait une expression de grande douceur et de résignation un peu triste. Mlle Pulchérie ne le séduisit pas ; elle lui parut pétrie d’orgueil et de sots préjugés. Il remarqua qu’elle donnait plus d’ordres aux domestiques que Mme Saint-Ybars ; elle parlait haut et d’un ton impérieux. Elle n’avait jamais été demandée en mariage, et il n’était pas probable, avec ses quarante-cinq ans, qu’elle dût l’être jamais. Elle était du sang des Saint-Ybars. Comme tous les gens de cette lignée, elle était d’une taille élevée ; mais encore plus grosse que grande, elle était obligée, pour faire contre-poids à la masse énorme de sa gorge, de tenir ses épaules et sa tête rejetées en arrière, ce qui lui donnait un air de reine dédaigneuse et mécontente. Par ses manières tranchantes et dominatrices, elle avait pris beaucoup d’empire sur Saint-Ybars ; il avait plus de confiance en son jugement qu’en celui de sa femme. Mme Saint-Ybars, qui avant toute chose voulait la paix, cédait toujours à la terrible cousine, quand celle-ci, dans une discussion quelconque, opposait à ses raisons une avalanche de paroles et de cris.

Mlle Pulchérie avait un faible pour M. Héhé.

Mlle Nogolka fut une des personnes qui attirèrent le plus l’attention de Pélasge. Il se demanda quel âge elle pouvait avoir. Il n’était pas facile de répondre. Les cheveux de l’institutrice étaient déjà presque blancs ; mais sa figure, bien que fatiguée et décolorée, accusait au plus vingt-cinq ans. Sa physionomie avait un caractère de concentration profonde, quelque chose de mystérieusement tragique ; il sembla à Pélasge qu’elle devait vivre beaucoup de la vie intérieure. Mais dans cette retraite en elle-même, de quelles pensées se nourrissait-elle ? « Voilà des yeux, se dit Pélasge, qui ont beaucoup pleuré, ou beaucoup veillé pour lire et écrire. Que peut-il y avoir dans le passé de cette intéressante personne ? un chagrin peut-être, dont le souvenir l’obsède encore. Qui sait ? peut-être la préoccupation douloureuse dont elle s’alimente, a-t-elle ses racines dans le présent. »