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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/46

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L’affection de Mamrie pour Démon l’avait graduellement revêtue d’un prestige qui la rendait, en quelque sorte, sacrée aux yeux de tout le personnel de l’habitation ; non seulement on respectait sa personne, mais on n’eût pas plus osé dire un mot inconvenant devant elle qu’en présence des filles de Saint-Ybars. Ses jeunes maîtresses se plaisaient à vêtir ; elles choisissaient, dans leur garde-robe, ce qui pouvait lui aller le mieux ; elles partageaient leurs rubans avec elle, et on voyait au cou et aux oreilles de la bonne négresse des bijoux qui avaient paré les filles de Saint-Ybars.

Quand Démon commettait quelque faute, on s’en plaignait à Mamrie ; être grondé par elle, était la punition qu’il redoutait le plus. Jamais châtiment corporel n’avait été infligé à Démon ; en le frappant, on eût cru frapper Mamrie. D’ailleurs, un côté de la nature africaine était resté à l’état sauvage chez Mamrie ; on ne l’avait jamais vue qu’une fois en colère, mais on en avait été effrayé : le souvenir de sa fureur était vivant dans tous les esprits, et personne, pas même les parents de Démon, n’eût osé le frapper en présence de sa nourrice.

Quand Démon entra dans la cuisine avec sa cage, Mamrie l’accueillit comme si elle ne l’avait pas vu depuis une semaine. Après s’être rassasiée du plaisir de le caresser, elle lui dit en lui montrant un banc :

« Asteur assite là é conté moin coman to fé pou trapé pap laïé. »

Démon ne se fit pas prier ; il raconta son expédition dans tous ses détails. Il s’exprimait avec une animation qui faisait le bonheur de Mamrie. Accroupie en face de lui, le sourire sur les lèvres, elle suivait, avec une admiration croissante, toutes les phases de son récit. Sa figure, mobile et expressive, reflétait tout ce qui se passait sur celle du petit garçon, comme s’il eût parlé devant un miroir.

Démon termina son épopée, en accompagnant sa parole de grands gestes qui épouvantèrent les oiseaux ; le mâle renouvela ses efforts pour passer à travers les barreaux de