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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/56

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« De grand cœur, répondit Pélasge ; mais dites-moi d’abord qui est cette vieille négresse qui parle si fort.

« C’est man Sémiramis, répondit Démon ; c’est elle qui dresse les jeunes esclaves. Elle ne plaisante pas, je vous le garantis ! les négresses en ont peur comme du diable ; elle leur fait commencer la journée en balayant la cour et les galeries d’en bas. Les domestiques, grands ou petits, lui obéissent à la seconde comme des soldats à leur capitaine. Pour abréger on l’appelle man Miramis. Elle est presque aussi vieille que mon grand-père. Quand mon père est absent, c’est elle qui fait marcher la maison. Elle ne sait ni lire ni écrire ; pour compter elle se sert de graines de maïs qu’elle porte toujours sur elle, dans un petit sac ; elle les étale sur une table, et après avoir ajouté ou retranché, selon l’occasion, elle dit au domestique à qui elle a confié de l’argent, pour faire des achats : « Tu dois me rendre tant. » Il faudrait être bien malin pour la tromper d’un picaillon. Elle est libre depuis sa jeunesse ; mais elle n’a jamais pensé à quitter notre famille. Elle a gardé tous les enfants de mon grand-père et tous ceux de mon père, excepté Chant-d’Oisel et moi.

« Si je vous comprends bien, observa Pélasge, cette Sémiramis est un personnage d’importance.

« Elle a beaucoup de tête, reprit Démon ; elle donne de bons conseils dans les circonstances difficiles. Elle est criarde, comme vous voyez ; c’est égal, tout le monde ici a un grand respect pour elle. Il n’y a que mon grand-père qui se permette de la plaisanter. Il lui disait un jour : ― Miramis, tu es née pour le commandement ; mais tu as manqué ta destinée ; tu aurais dû naître à Saint-Domingue Toussaint Louverture t’aurait prise pour sa femme. ― Elle lui répondit : Vous badinez ; mais si j’avais été sa femme, je vous réponds, moi, que les blancs ne l’auraient jamais fait prisonnier. »

Les paroles de Vieumaite dites sur le ton de la plaisanterie et citées sur le même ton par son petit-fils, avaient pourtant un fonds de vérité. Miramis était née pour le commandement, si tant est qu’il y ait des gens qui naissent