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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/57

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pour commander à d’autres ; elle avait tous les instincts dans lesquels le pouvoir absolu prend son origine. Elle divisait l’humanité en deux parties, l’une constituant un troupeau voué par la nature à l’obéissance et à la servitude ; l’autre formant un petit groupe doué d’un esprit supérieur et créé tout exprès pour conduire le troupeau. C’était, comme on voit, la même doctrine que celle de M. Héhé ; seulement Miramis ne partageait pas la haute opinion que M. Héhé avait de lui-même ; il s’attribuait une place parmi les maîtres du troupeau, elle le classait dans le troupeau.

Démon dit à Pélasge qu’en traversant la cour, il ne fallait pas manquer de souhaiter le bonjour à Miramis. Quand on approchait d’elle, la première chose que l’on voyait c’étaient ses larges fosses nasales ; elle tenait sa tête d’un air superbe, la face tournée vers le ciel, comme si elle eût appartenu à une race habitant l’empyrée. Elle était coiffée d’un madras rouge et jaune qu’elle portait comme une couronne ; en guise de sceptre elle brandissait une baleine, cette terrible houssine en peau de bœuf tordue, peinte et vernissée, vendue en baril par les philanthropes du Nord aux détaillants du Sud.

S’il faut en croire la renommée, Miramis n’avait pas été mal dans son jeune temps, malgré ses larges narines. Maintenant, avec sa maigreur et ses rides, elle pouvait passer pour la reine des sorcières. En dépit de son âge avancé, elle était d’une vivacité étourdissante ; ses yeux étaient ouverts et brillants comme ceux de la chouette. Elle répondit poliment, mais laconiquement, au bonjour de Pélasge. Elle le toisa de haut en bas, et, comme sûre du jugement qu’elle en portait à première vue, elle balança approbativement la tête, et dit à Démon :

« À la bonne heure ! voilà le maître d’école qu’il te fallait, et non pas ce gros empêtré de Héhé. Avec ce Monsieur si tu n’avances pas dans tes études, tu n’as pas d’excuse. »

Et se tournant vers Pélasge, elle ajouta :

« Soignez-moi bien cet enfant, Monsieur ; vous en ferez