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Page:Mercier - L’Habitation Saint-Ybars.djvu/63

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du vieux sachem. La lumière affaiblie qui éclairait la vaste rotonde, était pâle et douce comme celle de la lune quand son disque est voilé par les brouillards de l’automne. L’air au dehors étant tranquille, pas une feuille n’oscillait, pas le plus léger bruissement ne frissonnait dans les rameaux. Des touffes de barbe espagnole pendaient ça et là comme de longs voiles funéraires ; leur immobilité morne augmentait la mélancolie de cette solitude, et donnait plus d’intensité au silence.

Une austère et solennelle tristesse envahit subitement Pélasge. Lui, dont l’esprit ferme repoussait ordinairement toute émotion superstitieuse, il lui sembla voir dans l’avenir, entre lui et ce lieu solitaire, une connexion d’événements malheureux, et il en éprouva, par anticipation, un invincible serrement de cœur. Il avança lentement, posant doucement les pieds sur le sol, comme s’il eût craint d’interrompre le silence qui régnait autour de lui. Le tombeau de marbre blanc, dans lequel reposaient le père et la mère de Vieumaite, s’élevait dans l’ombre des rameaux étendus vers l’orient ; la façade était du côté d’où venait Pélasge. Il se découvrit respectueusement, et s’arrêta à quelques pas du tombeau. Son noir pressentiment ne le préoccupait plus ; sa sérénité habituelle revenue, il promena ses regards sur toute l’enceinte, et dit à demi-voix :

« Quel calme ! on se croirait transporté au-delà des limites du monde, dans un lieu où le mouvement et le bruit n’existent plus.

« Est-ce que vous n’aimez pas cette tranquillité ? demanda Démon.

« Elle me plaît beaucoup, répondit Pélasge.

« Je vous demande cela, reprit Démon, parce qu’il y a des personnes qui ne l’aiment pas. Mon père et mes frères ne se soucient pas de venir ici, surtout mon père ; il dit que cette immobilité et ce silence ressemblent trop au néant. Eh bien ! moi, Monsieur, j’aime à venir ici ; je ne demanderais qu’une chose à ceux qui doivent vivre plus longtemps que moi, c’est, quand j’aurai cessé de vivre, de déposer mon corps dans la terre ombragée par le vieux sachem. »