Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/111

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parce qu’elle devint le prétexte pour noircir davantage les vrais amis de la liberté, et les massacrer avec plus de facilité. L’apothéose d’un Marat ! cela est-il croyable ? surtout après le 9 Thermidor ? C’est bien là la preuve que les sanguinocrates se succèdent les uns aux autres, et qu’après s’être égorgés entre eux, ils ont soif du sang qui ne leur ressemble pas, tout comme de celui qui leur ressemble.



FÊTES DE LA RAISON



Elles ont eu des témoins qui n’en laisseront pas perdre le souvenir. On doute presque de ce qu’on a vu et de ce qu’on a entendu.[1]

La Raison était ordinairement une divinité, une fille choisie dans la race des sans-culottes ; le tabernacle du maître-autel servait de marche-pied à son trône ; les canonniers, leurs pipes à la bouche, lui servaient d’acolytes. Les cris de mille voix confuses, le bruit des tambours, les rauques éclats des trompettes, le tonnerre de l’orgue, laissèrent croire aux spectateurs qu’ils étaient transportés parmi les Bacchantes sur les monts de la Thrace.

Ce que c’est qu’un peuple subitement licencié du joug politique et religieux ! il n’est plus peuple ; c’est une populace effrénée : dansant devant le sanctuaire en hurlant la carmagnole, et les danseurs (je n’exagère rien) presque déculottés, le col et la poitrine nus, les bras ravalés, imitaient, par de rapides tournoiements, ces tourbillons, avant-coureurs des tempêtes, qui portent partout le ravage et la terreur.

  1. Ces fêtes eurent lieu en 1793.