Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/134

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qui se font avec orgueil valets de tyrannie, et à qui les crimes ne coûtent rien : le blême Dictateur rencontra Fouquier-Tinville, ancien procureur au Châtelet, et se l’attacha : jamais association entre les héros du crime ne fut plus égale.

Si une sage prévoyance eût enseveli dans un oubli éternel l’histoire des résolutions des empires, l’hypocrite Robespierre peut-être n’eût pas, comme César, aspiré à la dictature ; et l’horrible Fouquier-Tinville, prenant pour modèle le confident de Néron, n’aurait point perfectionné la science de l’accusation.

Exista-t-il un homme d’un esprit plus profondément artificieux, plus habile à supposer le crime, à controuver des faits ? Chacune de ses paroles était un piège que l’accusé ne pouvait prévoir ni éviter ; elles enchaînaient sa langue et sa pensée. En vain une épouse en pleurs le conjurait à deux genoux d’entendre jusqu’à la fin la justification de son mari ; le tigre, sourd aux accents de la douleur, prononçait fermement la condamnation de l’innocent.

La justice, lente à punir, a saisi enfin cet accusateur inique ; il montra dans ses interrogatoires une présence d’esprit imperturbable. Placé sur le premier gradin au tribunal où il avait condamné tant d’innocents, deux gros cartons lui servaient de pupitre. Il écrivait sans cesse, et sa plume semblait suivre la parole. Tout en écrivant, pas un seul mot soit du président, soit d’un accusé, d’un témoin, d’un juge ou de l’accusateur public ne lui échappait. Il était comme l’Argus de la fable, tout yeux et tout oreilles. Son attention dans le cours de cette longue affaire ne parut pas se relâcher d’une minute : il est vrai qu’il affecta de sommeiller pendant le résumé de l’accusateur public, mais ce sommeil simulé n’était que pour donner le change aux spectateurs. Il voulait avoir l’air calme, lorsque déjà l’enfer était dans son cœur.

Son regard fixe faisait malgré soi baisser les yeux : lorsqu’il s’apprêtait à parler, il fronçait le sourcil, et plissait le front. Sa voix était haute, rude et menaçante ;