Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/207

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Reportez vos pas sous les galeries qui conduisent au théâtre de la république, vous apercevez à la suite l’une de l’autre, des boutiques de filles qui tiennent des déjeuners et des soupers froids : là on entre, là on sort sans dire mot ; on est servi en montrant l’assignat. Des courtiers, des maquignons, des coureurs de vente fument, ruminent, boivent dans ces antres silencieux : personne n’y parle, et les plus grandes orgies y sont, pour ainsi dire, muettes.

Des ruisseaux d’urine coulent auprès ; les avenues sont ténébreuses et froides ; le libertinage y a pris je ne sais quelle forme glacée, qui paraît avoir son code et ses motifs.

Non loin (et dès qu’on aperçoit un peu de jour), des garçons perruquiers donnent des espèces de leçons publiques, et enseignent à leurs maîtresses à crêper des perruques de femmes. À côté d’une poupée coiffée en cheveux d’or, pendent des andouilles et des jambons.

Tout à côté, des milliers de bouteilles de vins fins, de liqueurs de la Martinique, exposées sur des gradins, présentent aux regards des passants l’orgueilleuse étiquette. Au moment que je parle, deux cents bouteilles posées sur une planche mal affermie sont tombées sur d’autres bouteilles, et le vin du Cap a mêlé ses flots à ceux de la crème des Barbades. Le sol profondement imprégné, a chassé à cent pas à la ronde la mauvaise odeur du lieu.

Tel qui buvait jadis modestement de la tisane, quoique agioteur secondaire, avale aujourd’hui et ne savoure que le Champagne et les autres vins délicieux sortis de la cave des émigrés, et qu’ils ne boiront plus.

Les morceaux fins, les pâtés de perdrix, les cerises au petit panier, les pois dans leur primeur, les hures de sanglier voilà les bons morceaux des marchands d’argent, des brocanteurs, qui dans un espace de six cents pieds carrés,

    gnats à la Bourse du 14 décembre 1795, celle-ci fut refermée de nouveau ce même jour. La spéculation fixa dès lors son quartier-général devant le perron où se trouve l’entrée du Palais-Royal par la rue Vivienne. (Note de l’édition Poulet-Malassis.)