Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/208

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trouvent leur table, leur promenade, leur domicile, leur jouissance, leur fortune, et l’aliment éternel de leur travail monstrueux.

Le cours du louis, dont ils sont les maîtres, se trouve enregistré d’heure en heure sur la couverture des pâtés. Vous avez lu 1000 livres ; vous repassez, l’étiquette vous offre 1500 liv.

Les boutiques de bijoutiers, toujours nombreuses, sont resplendissantes, comme s’il n’y avait ni misère ni infortunes. On ne voit que des chaînes de montres, moitié perles, moitié diamants, qui pendent parmi les montres à quantième. Ceux qui n’ont tout juste que pour acheter un pain, regardent ces bijoux précieux, qui ne sont séparés de leurs mains que par un verre transparent, et ce fragile rempart est religieusement respecté.

Les marchands de draps font descendre du plancher au sol de la boutique, toutes les étoffes ondulées, qui contrastent avec les mises ignobles et sales des passants : on dirait que ces marchandises ne sont plus pour les Français, et qu’on va les embarquer pour la Turquie. On les contemple à peu près du même œil que les tableaux du Muséum. Ces étoffes sont sous votre main, vous pouvez les toucher ; personne ne semble les garder, et les maîtres sont dédaigneux lorsqu’il s’agit de vendre.

Des boutiques plus resserrées, mais non moins riches, vous offrent des superfluités brillantes ; ce sont des bagues qui sont à deux faces ; c’est une fleur de Souci ou une Pensée, ou un amour qui tient un fil, un oiseau qui vole ; ce sont des firmaments de pierres étoilées, des présents d’amitié ; des boucles d’oreilles en fleurs, en filigramme ; des boîtes d’or, des étuis d’or, des médaillons d’or, beaucoup de glaciers d’argent avec leurs cuillers ; des coupes d’argent de forme antique, avec leurs manches en ébène.

Et tout en admirant cette riche clincaillerie qui annonce que l’or existe encore et n’est point totalement disparu (car les trois quarts et demi de la cité pourraient en avoir perdu le souvenir), l’odeur des ragoûts exquis monte en