gouvernement tyrannique et sanguinaire. Les silences alors ne sont observés que quand Rhodes[1] s’efforce de tirer de son violon des sons aussi attendrissants que ceux d’Orphée ; mais ce n’est pas encore Viotti[2]. Les palissades rangées autour de chaque banquette (je veux dire les hommes, autant vaut), les palissades, dis-je, se livrent alors à mille déclamations contre tous les gouvernants ; ils tâchent de déchaîner contre eux la défaveur, le mépris et le plus souvent la haine publique. La région du bal devient l’antre de la calomnie ; mais plus insolente que malicieuse, elle dégénère en platitudes, en torrent d’invectives grossières, et bientôt elle éloigne même jusqu’au curieux. L’un dit à son voisin : Toutes ces femmes que tu vois — Eh bien ? — Elles sont entretenues par des députés. — Tu crois ? — Celle-ci aux yeux vifs, à la taille svelte ; c’est la maîtresse de Raffon[3]. Cette demoiselle, la gorge nue et couverte diamants, c’est la sœur de Guyomard[4] : on a payé sa dernière motion avec les bijoux de la couronne. — Cette belle blonde élancée, c’est la fille cadette d’Isnard[5], qui a mis de côté cent mille écus pour sa dot : on la marie demain. Il n’y a pas, vois-tu, un membre du corps législatif qui n’ait ici deux ou trois femmes, dont chacune des robes coûte à la république une partie de ses domaines.
Le concert est fini : commencent les soupers, où les femmes, qui n’ont plus la gêne des corps et des corsets qui les serraient autrefois à outrance, peuvent manger à satiété : elles s’en acquittent très bien. Elles dévorent les dindes aux truffes, et les pâtés d’anchois : elles mangent pour le rentier, pour le soldat, pour le commis, pour
- ↑ Ou Rode. Élève de Viotti. Fut nommé professeur de violon au Conservatoire lors de sa fondation.
- ↑ Le plus célèbre violoniste de cette époque. Fut nommé directeur de l’Opéra en 1818.
- ↑ Député de la Convention. Prétendait que la cocarde était le plus bel ornement du citoyen.
- ↑ Membre de l’Assemblée législative et de la Convention.
- ↑ Idem.