Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/228

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de vue piquants et réellement neufs, car je suis statuaire et peintre dans mon cerveau : et voilà pourquoi il n’y a pas un seul tableau au Muséum que je ne refasse dans mon imagination. Ah ! pauvres peintres ! que vous êtes en général, froids, monotones, sans esprit, et surtout sans invention ! que vous êtes bien nés pour peindre des calvaires ! Ah ! malheureux peintres d’histoire ! vous avez tué l’histoire. Je compare toutes ces figures dansantes, parlantes et mangeantes à celles que j’ai rencontrées en divers pays ; et je me confirme dans l’idée que les Françaises sont, de toutes les femmes, celles qui ont le plus de grâces, même dans les fonctions qui en admettent le moins, comme manger goulûment, regarder hardiment, parler hautement et déclamer anti-républicainement.

Mais aussi je ne sais si l’on a vu dans aucuns temps et dans aucuns pays, une femme, au milieu des hivers les plus rudes, sans bas, sans autre chaussure qu’une légère semelle en forme de sandale, et simplement attachée par de légers rubans, laisser voir ses doigts des pieds ornés, ou plutôt gênés par plusieurs bagues ou anneaux ; et l’ostentation seule lui fait certes dissimuler la gêne qu’elle éprouve en formant les pas de danse.

Qui croirait au milieu de ces bals que la guerre est sur nos frontières, sur les bords du Rhin, de la Sambre, de la Meuse, au delà des monts et sur toutes les mers. Que l’Europe conjurée, soumise au fanatisme insensé, au dogme des rois, encore plus absurde que le dogme de la présence réelle, menace opiniâtrement la France, la République, la Constitution, Paris, les bals et même tous les danseurs : personne ne songe à ces hostilités sanglantes, à ces majestés liguées qui veulent relever la dignité de leur trône sur les cadavres français.

Je vois même une foule de jeunes gens de 23 ans, embryon-bêto-crates, qui ont mis leurs cravates jusqu’à leur bouche, et qui dansent plus longtemps, comme enchantés de s’être soustraits (je ne sais comment) à la réquisition.