Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/23

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étaient la vérité et la justice, et qu’à travers les déguisements du mensonge, ils se sont trouvés entourés d’illusions éternelles.

Paris est une ville unique où l’on trouve ce qu’on veut en fait de personnages de toute espèce et de toute couleur. En moins de vingt-quatre heures un familier de l’ancienne police nous ramassera trois cents hommes qu’il distribuera autour d’un édifice, et qu’il fera vociférer sur tel ou tel ton. On sait que dans le temps de la Fronde le cardinal de Retz et les autres chefs se faisaient tirer des coups de carabine sur leur voiture, afin d’avoir un prétexte pour animer les gens de leur parti contre la Reine et le Cardinal. De même, la cour voulant savoir si elle pouvait compter sur le régiment des gardes-françaises, fit piller la manufacture de Réveillon[1], afin d’avoir un prétexte plausible pour faire entrer des troupes. Le régiment des gardes fit feu sur les pillards et les massacra ; ce fut comme la répétition de la sanglante tragédie que l’on devait jouer quelques jours après : mais la cour tomba dans ses propres pièges. Ce sang versé fit faire des réflexions aux soldats ; ils furent instruits, caressés, débauchés ; ils eurent horreur de ce qu’ils avaient fait, et frémirent à l’idée de tuer leurs concitoyens. Un d’eux qu’on voulait détacher du parti de la cour, écoutait silencieusement, plongé dans la plus profonde réflexion ; on lui demanda de se décider, il répondit : Pas encore ; je consulte l’ombre du colonel Biron[2].

Le fougueux Charles IX tirait lui-même sur les malheureux qui fuyaient. Pendant ces jours de sang il se promenait dans la ville accompagné de sa cour ; il admirait les traces du massacre, imprimées sur toutes les murailles ; il alla aux fourches patibulaires voir le corps de l’Amiral. Les frères de Louis XVI avaient fait le tour de la capitale pour bien voir le plan du siège, par où entreraient les trou-

  1. Réveillon, fabricant de papiers peints, était soupçonné de soutenir la cour. Les révolutionnaires incendièrent sa maison le 28 avril 1789.
  2. Avant-dernier colonel des gardes-françaises.