Page:Mercier - Le Nouveau Paris, 1900.djvu/245

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les arrhes de la veille, afin de pouvoir dîner ; car le grand air donne de l’appétit.

Le jockey, qui souvent n’appartient pas plus au cavalier que le cheval, suit tristement son maître du matin, et attend avec impatience la fin de sa course. Au reste, peu de coursiers fringants : des espèces d’anglais à courte queue, à courtes oreilles, maigres de vieillesse ou de famine, voilà en partie la monture de nos anglomanes. Ils ont des prétentions ; ils prennent leurs positions guindées pour de la grâce, et s’admirent au milieu de leurs courses : piaffant, courant, caracolant, les jeunes gens ont l’air triste.

Mais ce qu’il y a de plus singulier, c’est que ces femmes, ces jeunes gens s’arrêtent subitement au milieu de leurs courses, et lorsque le soleil a encore plus de trois heures à parcourir ; ils quittent l’air pur de la campagne pour se rendre dans des salons malsains où l’on fait de la musique. Ce n’est pas qu’ils aient l’intention d’entendre, mais ils veulent trouver à qui parler de leurs courses ; et c’est le plus grand plaisir que le coureur en reçoit. D’autres monteraient à cheval par intérêt pour leur santé : nos chevaliers du jour n’y montent que par amour-propre.

On n’étale plus que des livres obscènes dont les titres et les estampes repoussent également la pudeur et le bon goût : l’on vend ces monstruosités partout sur des mannes, le long des ponts, à la porte des spectacles, sur les boulevards. Le poison n’est pas cher ; dix sous le volume. Toutes les productions du libertinage, et les plus licencieuses, renchérissent les unes sur les autres, et ont attaqué sans frein et sans crainte l’honnêteté publique. On dirait que ces vendeurs de brochures sont des marchands privilégiés d’ordures : tout titre qui n’est point infâme, semble être exclu de leur montre. La jeunesse y puise sans obstacle comme sans scrupule, les éléments de tous les vices. Cette horrible manufacture de livres licencieux a pour manufacturiers tous les contrefacteurs, genre de pirates qui tueront la librairie, la littérature et les hommes de lettres : elle a pour base cette liberté illimitée de la presse que réclament