tandis qu’elle se moquait de ceux qui dans les carrefours achetaient pour deux sous les petits paquets des vendeurs d’orviétan. Les sauvages du Canada consultent les devins, les sorciers ; ils ajoutent foi aux prédictions de leurs jongleurs. Le peuple de Paris n’est guère plus avancé qu’eux : comme eux, il a ses jongleurs dont il sollicite, dont il dévore les oracles : je m’en suis convaincu par moi-même.
Rue d’Anjou, près la rue ci-devant Dauphine, no 1773, au premier, loge un tireur de cartes des plus accrédités. Il se nomme Martin, et il affecte le langage italien : c’est là que, nouveau Trophonius, il rend des oracles ; c’est enfin là qu’il a placé son antre sibyllitique.
On entre par une petite cour ; on monte. La cour, les escaliers sont obstrués de personnes de tout sexe et de tout âge qui ont l’air d’âmes en peine, et qui font queue pour attendre à leur tour la décision du tireur de cartes.
Là, j’ai vu des femmes avec des plumes, des jeunes gens bien mis et qui avaient l’air très sérieux : j’ai considéré avec étonnement ces visages blêmis par la crainte et par l’espérance, et je me suis cru un instant sur le seuil du purgatoire.
Je parvins à mon tour et avec peine jusqu’à l’oracle. Je me figurais voir un homme de haute stature, à la barbe blanche, aux yeux enflammés, au ton prophétique ; ainsi que le prenait Cagliostro, ainsi qu’il l’avait pris devant moi à Strasbourg, lorsque je me mis à lui rire au nez tant il me parut grotesque dans son rôle emphasé[1] ; point du tout. Martin, l’oracle, est un cul-de-jatte, ayant ses béquilles à ses côtés, et qui, au moindre mouvement, les saisit avec une rapidité incroyable, et traîne dans son étroit et sale appartement ses deux jambes encaissées. Il a dans sa main un jeu de cartes du jeu de Tarots, et une grande carte géographique couvre sa table. Il a l’air gai,
- ↑ Il était alors à la suite du Cardinal-Collier, dont l’affaire, ridiculisant la cour de France, a opéré le désenchantement du peuple français. (Note de Mercier.)