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Page:Mercier - Mon dictionnaire.pdf/8

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ABÉABE

ses vertus… Bouche d’Abbé, vomis ton feuilleton !

Quand on chérit ce qui est grand et ce qui en porte le caractère, il faut qu’on se reporte aux formes républicaines, ou bien il faut oublier tout-à-fait qu’on est né homme. C’est ainsi que l’innocence, dans ses songes, rêve incessamment les jours de l’âge d’or.

ABDIQUER. Abdiquer tout esprit public, c’est ouvrir la porte à toute sorte d’oppressions.

ABÉCÉDAIRE. Descartes fut un de ces mortels présomptueux qui veulent deviner la Nature, au lieu de l’étudier avec une attention respectueuse. La Nature est une livre immense, a dit Bacon, mais il faut commencer par son Abécédaire.

Abécédaire. Cettuy-ci apprend à parler, lorsqu’il faut apprendre à se taire pour jamais. On peut continuer à tout tems l’estude, non pas l’escholage. La sotte chose qu’un vieillard Abécédaire !

(Montaigne.)

Abécédaire. Les gens qui lisent tout, se rappellent qu’il parut, il y a quelques années, un ouvrage par ordre alphabétique, intitulé : Les Trois siècles de la Littérature Française, etc., par l’abbé Sabatier de Castres. Voltaire daigna quelquefois plaisanter cet Abécédaire ; et ses plaisanteries lui donnèrent, pendant quelque tems, une malheureuse célébrité.

ABÉQUITER. S’enfuir à cheval. Ce verbe peut être admis, parce que ses élémens sont tirés de locutions déjà connues, telles que : Équitation, Écuyer, et même Équiter. (Louis Verdure.)

ABERRATION. Aberration des étoiles ; mot qui, sans doute, excitera un jour le rire de nos neveux.

L’abbé de Lacaille, qui a passé tant de tems au cap à numéroter des étoiles, fut le premier, au collège des Quatre-Nations, qui me parla de l’astronomie : il parlait toujours les yeux demi-fermés, comme expliquant dans les ténèbres de son monde imaginaire. Je ris quelquefois tout seul en songeant combien l’avenir rira des folies scientifiques du dix-huitième siècle. Bon Dieu ! que deviendrait le soleil et les planètes par rapport à la terre, si l’Être-Suprême permettait à Newton de les gouverner par les lois de son attraction ?

Ce qui m’amuse, c’est que mon ami Bernardin de Saint-Pierre, en voulant retenir la majeure partie du système newtonien, n’en a pas moins été exposé que moi au courroux des géomètres. Du moins j’ai fait le Nogaret ; et le soleil, que j’ai fait tourner circulairement au-dessus de la terre, mais non pas à l’entour de la terre, ne m’a point refusé la benigne influence de ses rayons.

Détrôneur de Newton, régent de l’empirée,
Je l’ai vu choir du haut de la voûte azurée.

À quoi bon faisait-il errer la terre dans l’océan immense des cieux ? Laissons-là fixe au poste assigné à sa pesanteur spécifique. Seulement admettons dans la terre un mouve-