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Page:Mercier - Tableau de Paris, tome III, 1782.djvu/296

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ne reconnoît pas le maître qu’il a servi : mais il lui apprend que sa femme est morte, il y a trente ans, de chagrin & de misere ; que ses enfans sont allés dans des climats inconnus ; que tous ses amis ne sont plus. Il fait ce récit cruel avec cette indifférence que l’on témoigne pour les événemens passés & presque effacés.

Le malheureux gémit, & gémit seul. Cette foule nombreuse, qui ne lui offre que des visages étrangers, lui fait sentir l’excès de sa misere plus que la solitude effroyable dans laquelle il vivoit.

Accablé de douleur, il va trouver le ministre dont la compassion généreuse lui fit présent d’une liberté qui lui pese. Il s’incline & dit : faites-moi reconduire dans la prison d’où vous m’avez tiré. Qui peut survivre à ses parens, à ses amis, à une génération entiere ? qui peut apprendre le trépas universel des siens sans désirer le tombeau ? Toutes ces morts, qui pour les autres hommes n’arrivent qu’en détail & par gradation, m’ont