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Page:Mercier - Tableau de Paris, tome IX, 1788.djvu/125

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si elle eût voulu me dire : ah ! si tu avois été ici ! Nos idées se rembrunissoient : le premier sentiment avoit été de joie ; le second fut amer & triste. Non, je n’ai jamais vu un homme emprisonné pour ses nobles écrits ou pour son mâle courage, que je n’aie partagé ses chaînes & ses malheurs. Quand je suis seul, le soir, à la lueur de la lampe qui éclaire mes veilles, je me trouve avec lui, je fortifie son ame, je l’invite à savoir souffrir quelques années, pour des siècles de reconnoissance & de gloire ; & pensant comme lui, je me reproche presque alors de n’être point chargé des mêmes fers. Ici, furent prisonniers le cardinal de Retz & le grand Condé. Ici, les geoliers, les questionnaires, les bourreaux, ont tourmenté de grands hommes, & des têtes faites peut-être pour les grandes révolutions. Mais tandis que Montesquieu écrivoit, ces verroux tenoient des hommes vivans derrière des portes inflexibles. Quel terrible droit que celui qui enferme les hommes ! Une voix dit : qu’on emprisonne ; & voilà que les cachots s’ouvrent & nous engloutissent !