Page:Mercure de France, t. 147, n° 548, 10 avril 1921.djvu/104

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porte le nom de temple, la dénomination posthume : l’âme, que j’ai perdue de vue, veut y pénétrer, y siéger peut-être. J’entends des palpitations… Mais les Caractères, là-haut, ne peuvent pas donner asile. Ils sont un titre, un emblème. Ils ne personnalisent pas. L’âme a glissé le long du marbre dans un tâtonnement déconcerté. Elle s’accroche aux assises de briques, puis retombe jusqu’à la bouche noire de la voûte et, de nouveau, la voici happée par l’air courant.

Je me hâte. Je monte la rampe en aveugle jusqu’au point où la voûte se partage et étend ses deux bras. Et, tout inquiet de savoir lequel des deux chemins sera choisi, je devine que l’âme, négligeant l’un et l’autre, s’enfonce doucement à travers la porte murée, droit au cœur de la montagne, et échappe au vivant que je suis.

Pourtant, je n’ignore rien de ce qu’elle fait ni de ce qu’elle ignore ; l’âme interroge son cadavre, et réclame son Siège, et quoi faire pour le reconquérir ? J’admire comment, par des moyens grossiers, sans divination ni magie, je détiens le secret que cette âme limpide doit arracher à son corps en se faisant sa propre nécromancienne !

Sans doute, j’aurais pu alors… Mais quelle double imprudence ! Traiter un cadavre comme s’il était vivant, c’est manquer de discrétion ; les Sages nous l’apprennent. Traiter une âme comme si elle était morte, c’est faire preuve d’inhumanité. Et les Sages ont institué les rites à propos pour aider l’homme à devenir discret et à rester humain. Je serai donc muet, immobile, comme un gardien de plus à la porte murée.

— Mais Le voici déjà. Il sort du tombeau, de la montagne, des pierres. Il vient sans doute d’emprunter un peu de vie posthume à son corps. Il marche… Non. Il vacille sur le sol, à petits sauts. Trop lourd dans le vent, il pèse très peu sur la terre. Il n’a plus cet envol affolé. Il est moins grand. Je vois ses épaules, ses bras, mais non pas son visage qu’il baisse jusqu’au front dans ses manches réunies. Je dois le suivre, attiré dans le sillage de sa robe indécise.