de sa vie… Je m’en suis d’abord moqué doucement. Puis je l’ai épiée. Réellement elle redoute l’obscurité. Mais maintenant je sais pourquoi.
Il prit un air mystérieux :
— C’est qu’elle n’entend pas dans le noir.
— Ah ?
— Elle n’entend pas… ça n’est peut-être pas très exact. Enfin, je ne peux pas dire mieux…
— Ah !
— Tu vas me répondre étourdiment que c’est là une infirmité avec laquelle on peut vivre, et, sinon s’aimer d’enthousiasme, au moins se tolérer sans trop de contrainte… Eh bien ! non. Cette perversion dans son être sensoriel a tout bouleversé de ses manifestations affectives. D’abord nos goûts ont divergé, même les plus insignifiants. Et ces petits discords ne sont pas, je te l’assure, négligeables ; elle s’est mise à chercher partout la lumière, à se réjouir grossièrement quand il fait soleil, à s’égayer de couleurs vives, comme un enfant, ou… un sauvage.
Je laissais délirer. Mais j’explorais, par coups d’œil brefs, tous les recoins de la chambre vibrante. Je m’efforçais à deviner, dans ce murmure enveloppant, le rôle de certaines bizarreries luisantes, mates, rondes ou étirées, qui tapissaient les murs, envahissaient les cimaises et pendaient du plafond. Et je me mis bientôt à sourire, pour moi-même : dans la pénombre du jour grisaillant, j’avais discerné, tout contre le mur, à ma gauche, une énorme harpe ; puis une autre derrière moi, celle-ci étouffée à demi sous un rideau feutré. Cela bruissait évidemment, comme bruissaient les nombreux cylindres épars sur les meubles ; — je les reconnus tardivement pour de quelconques résonateurs. Quant à ces deux lueurs bleuâtres qui papillotaient là-bas dans leurs tubes de verre… Oh ! oh ! je tenais la source de mes « petites voix » : deux flammes chantantes, légèrement discordées sans doute, afin de moirer de « battements » et d’ondoyances, leur son résultant ! Et rien de plus que cet attirail d’acoustique élémentaire. Au fait ! n’était-ce pas sur des divagations d’acoustique, précisément, que mon ami avait suspendu ses cours à la Faculté… et puis rompu avec ses collègues, sur le même propos ? Quoi d’étonnant à tout ce que je