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Page:Mercure de France, t. 68, n° 244, 15 août 1907.djvu/91

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joie, sans adultère ! En avait-il été question ? J’en étais maintenant si détaché ! comme d’un geste inutile et bas. Non, je n’y avais jamais pensé ?

Non plus que jamais je ne l’avais cru fou, lui — n’est-ce pas ? je me félicitais avec quelque impudeur de mon flair et de ma bonne fortune, toute intellectuelle. Mais une inquiétude me survint : comment faire admettre aux amis lecteurs, — même en une préface onctueuse et servile, — que mon héros se renferme dans une chambre tendue de ficelles, meublée de boules de cuivre, et qu’il s’éclaire avec des flammes incolores et qui chantent… Cependant que sa femme le soigne, l’entoure et le circonvient ? D’emblée toutes les sympathies iront à la femme, à la pauvre petite femme. Et mon rôle, là-dedans ! Je serai le traître qui ne trahit point ; l’ami qui ne trompe pas, l’indécis, le monsieur qui déçoit le public à défaut de décevoir le mari… Triste situation ! Et quelle ignorance avouerai-je par là, de la saine littérature !

Non ! je n’écrirai rien, je ne dirai rien. Mais, sitôt dépêtré de ce congrès fâcheux, je reviendrai auprès de mon ami. Je sympathiserai à son isolement splendide ; je le confirmerai dans sa subtilité sonore… Un roulement de train secouant avec fracas des plaques tournantes et bloquant tous ses freins me fit sortir de mon lyrisme ambulant. C’était la gare. Les quinquets me répugnèrent. Mais je m’endormis lourdement en wagon.

*

Le congrès s’éternisa. Il fut suivi d’une commission déléguée pour approfondir la réforme de l’enseignement des sciences. La commission désigna une sous-commission dont le secrétaire — c’était moi, — fut chargé de tout le travail. Cela me valut deux voyages et me fit perdre une année. J’étais sans nouvelles d’André. Je n’osais pas lui écrire. Une lettre ne serait-elle pas acceptée comme une dysharmonie, ou une bévue, ou une insulte de ma part ? Et je désirais tant le retrouver semblable à lui-même, et fortifié dans son château de l’âme écoutante !

Sitôt libre, je revins à Bordeaux, puis me précipitai chez eux. Mathilde parut. Elle m’accueillit d’un air de triomphe. Cela me rendit perplexe.